Illustration: Tina Urmankovic (20est)
impérissable
Il y a plusieurs années de cela, j’ai découvert mon père recroquevillé sur un lit d’hôpital. Il était frêle, fatigué, blessé. J’ai soudainement réalisé qu’il existe un basculement des rôles. Mon père n’était plus l’homme à même de me protéger, c’était à mon tour de m’occuper de lui et de le protéger. C’est ainsi qu’est née cette chanson: j’avais envie de parler de ce basculement des rôles. Mon père adorait la musique classique, aussi était-ce pour moi une évidence de proposer à un pianiste « classique » de me suivre dans cette aventure.
Lorsque je rendis visite à mon père à l’hôpital le jour suivant, il se trouvait dans une chaise roulante. Je me souviens lui avoir tout à coup avoué que je travaillais sur l’écriture d’une chanson qui parlait de lui. Mon père n’était pas très expressif s’agissant de ses émotions, mais son regard traduisait toujours ce qu’il ressentait. Il était intrigué. Je lui demandai: « tu souhaites connaître le titre de cette chanson? » Il me répondit par l’affirmative. Je rétorquai: « Impérissable« . Il eut un regard pétillant et un sourire, à peine esquissé mais si révélateur, que je n’oublierai jamais.
J’ai toutefois vécu le décès de mon père lors de la création de cette chanson, deux jours après la réussite de mon doctorat.
Le départ de mon père m’a naturellement poussé à modifier le thème de la chanson pour ne plus parler du basculement que j’avais ressenti, mais de son départ. Lorsque je vis son corps inanimé, ce qui m’a bouleversé fut de sentir toute la chaleur de son corps dissipée et, surtout, sentir que son cœur ne battait plus. Une fois ma main posée sur son cœur, je lui ai fait cette promesse à haute voix: « Papa, je terminerai cette chanson pour toi« .
Vous savez, je crois que le décès d’une personne marque non seulement la personne que nous sommes lors de son départ, mais aussi toutes les personnes que nous avons été, à des âges différents, et qui ont vécu avec le défunt. C’est ainsi que j’ai décidé de jouer le messager entre l’enfant que j’étais et mon père, pour une écriture à trois niveaux.
Comme évoqué à quelques reprises, ce retour à moi, qui m’a notamment permis de découvrir la spiritualité, m’a beaucoup aidé lors du décès de mon père. Oui, je le sais et le sens partout autour de moi, comme un protecteur invisible qui m’entoure d’une chaude couverture.
N’oublie jamais que les êtres aimés ne sont pas partis. Ils se sont juste transformés en énergie et continue leur chemin, autrement. Ne sens-tu pas l’énergie si spécifique de ces personnes autour de toi, quand tu penses fort à elles, quand tu les appelles à te rendre visite?
Anecdote: j’ai également parlé du décès de mon père dans deux autres créations musicales: l’une, intitulée « Le Vieillard » traite de la vieillesse et des personnes âgées forcées de vivre écartées de la société; l’autre, intitulée « Le Départ » reprend les mots, qui ont été les siens au moment de partir et que mon père m’a murmurés, après sa mort, au moment d’écrire la chanson. Retrouve ces deux morceaux sous l’onglet « Triptyque »!